miércoles, 18 de noviembre de 2015

Biographie de Jules Verne commenté par Jean-Paul Dekiss,

L'un de ses meilleurs biographes, Jean-Paul Dekiss, retrace le destin de cet écrivain prolifique, grand voyageur, amateur de théâtre, homme de son monde et dont l'imagination de génie le rapproche de ses personnages.

Qui était Jules Verne, avant de connaître le succès avec ses «Voyages extraordinaires»?
Jean-Paul Dekiss. Cet enfant de la bourgeoisie nantaise, né le 8 février 1828, a rêvé tout au cours de sa jeunesse devant les bateaux qui partaient pour de longs périples sous les fenêtres de la maison familiale face aux quais de la Loire. A 20 ans, après une déception amoureuse, il «monte» à Paris et commence des études de droit. Il fréquente les salons littéraires et se lie d'amitié avec Alexandre Dumas fils. C'est un boute-en-train un peu bohème, qui fréquente un joyeux club de célibataires, les «Onze sans femme». Il lit beaucoup - Hugo, Shakespeare, Walter Scott - et écrit quelques tragédies, qui ne seront jamais jouées. Finalement, on l'a un peu oublié aujourd'hui, il se lance dans le vaudeville mais également l'opérette. Sa première pièce, Les pailles rompues, est montée sur la scène du Théâtre historique, alors qu'il n'est âgé que de 22 ans. Jules Verne est un familier du monde des théâtres parisiens - il est embauché comme secrétaire du Théâtre lyrique - et vit sur les Grands Boulevards. Ses opérettes Colin-Maillard et Monsieur de Chimpanzé vont connaître leur petit succès. 
Il est tout de même obligé de devenir agent de change pour gagner sa vie...
J.-P. D.
 Oui. Après son mariage avec une jeune Amiénoise, sa belle-famille lui confie un petit capital et il se retrouve placier en Bourse. Son fils Michel, dont nous reparlerons, naît en 1861 et la période du joyeux célibat s'achève. Cette même année 1861, il se plonge dans l'écriture d'un premier roman. 
Quel est le déclic qui va l'amener aux «Voyages extraordinaires»?
J.-P. D. Il y en a deux, l'un humain, l'autre littéraire. La rencontre avec l'explorateur Jacques Arago est déterminante. Cet aventurier aveugle (!), parent de la célèbre famille de savants, sillonne le globe et publie des récits haletants, porté par l'esprit des Encyclopédistes et un goût pour l'astronomie et la géographie. A peu près à la même époque, Jules Verne découvre l'?uvre d'Edgar Allan Poe, en particulier Les aventures d'Arthur Gordon Pym, dont il imaginera une suite dans Le sphinx des glaces. Il admire son goût du mystère et la finesse de la narration. Il rédige même une étude littéraire sur l'auteur des Histoires extraordinaires, la seule qu'il ait jamais publiée de sa vie. C'est à cette époque qu'il s'attelle à un roman d'un genre nouveau, que lui inspire, entre autres, son ami le photographe Nadar, grand amateur d'ascensions en montgolfière. Pour l'heure, cette ?uvre s'appelle encore Un voyage en l'air. 
Intervient alors, comme un miracle, la rencontre avec l'éditeur Pierre-Jules Hetzel...
J.-P. D.
 Elle va tout précipiter. A l'automne 1862, Jules Verne, alors âgé de 34 ans, propose le manuscrit de son histoire de ballon à Hetzel. L'éditeur est emballé et lui signe instantanément un contrat:Cinq semaines en ballon, premier volume d'une série appelée à devenir mythique, paraît en janvier 1863. Ce long roman arrive à point nommé pour Hetzel, qui rentre d'un long exil à Bruxelles, où il a notamment publié les Châtiments et Napoléon le Petit, deux terribles charges de Victor Hugo contre Napoléon III. Ce fervent républicain vient tout juste de s'allier à Jean Macé, laïc convaincu et fondateur de la puissante Ligue de l'enseignement, pour lancer un périodique, le Magasin d'éducation et de récréation. Verne présentera parfois Jean Macé comme son «directeur de conscience». Le credo de la revue est simple: distraire les familles en les éclairant. Avec ses «romans géographiques» et sa glorification du progrès, Jules Verne a tapé dans le mille. Hetzel demeurera son seul et unique éditeur jusqu'à sa mort. 

Pourtant, les échanges entre eux seront parfois tendus...
J.-P. D.
 Hetzel est un éditeur exigeant, comme en témoigne la lettre par laquelle il refuse le deuxième manuscrit de Verne, Paris au XXe siècle. «Je m'étonne que vous ayez fait d'entrain et comme poussé par un dieu une chose si pénible, si peu vivante», lui écrit-il. Ce manuscrit, exhumé par l'arrière-petit-fils de Jules Verne, ne sera publié qu'en 1994. Par la suite, Hetzel n'hésitera pas à intervenir sur le contenu des plus grands chefs-d'?uvre de Verne. Il voulait, par exemple, introduire une sorte de Gavroche pour guider les derniers pas de Michel Strogoff, devenu aveugle. Verne a refusé. Mais surtout, un débat assez vif les a opposés à propos de la personnalité du capitaine Nemo, l'un des héros emblématiques des «Voyages extraordinaires». Hetzel avait du mal à accepter la dimension anonyme et nihiliste de ce personnage qui coulait des navires sans raison et semblait haïr l'humanité. C'était une sorte de Ben Laden! Il suggère d'en faire un antiesclavagiste qui se vengerait des Anglais. Verne refuse et finalement les deux hommes décident de ne pas justifier les actes de Nemo, ce qui lui conférera cette dimension si particulière. Il faudra attendre la fin de L'île mystérieuse pour apprendre que le capitaine Nemo est en réalité un ancien maharadjah décidé à se venger des Anglais. Mais, comme on l'a découvert récemment en étudiant le manuscrit, Hetzel a tout de même réussi à apposer sa patte sur Nemo: dans la version originale de Verne, le dernier mot du capitaine était «Indépendance!»; l'éditeur l'a rayé et remplacé par «Dieu et patrie!». Ce qui, vous en conviendrez, n'est pas tout à fait la même chose... 
Comment est organisé le cycle des «Voyages extraordinaires», qui comprend soixante-deux romans?
J.-P. D. Avec les six premiers volumes, Verne explore les six axes de notre univers: les airs avec le ballon, le pôle (Voyages et aventures du capitaine Hatteras), le centre de la Terre, le tour du monde (Les enfants du capitaine Grant), la Lune et la mer. La suite sera une série de variations autour de ces thèmes fondateurs. Verne écrit sur les nouvelles formes de l'enchantement. Ce qui ne l'empêche pas d'aborder des sujets plus noirs, comme avec Robur le Conquérant, ce nihiliste qui veut asseoir sa domination sur les airs. Il est amusant de noter que ce roman est écrit exactement à l'époque où Nietzsche rédige Par-delà le bien et le mal, dont la thématique n'est pas si éloignée. 
Comment travaillait Jules Verne?
J.-P. D. Après avoir publié Vingt mille lieues..., Les enfants du capitaine Grant et De la Terre à la Lune, il déménage au Crotoy puis à Amiens. Là, il mène une vie réglée, car son contrat avec Hetzel stipule qu'il doit livrer trois volumes par an. Il écrit de 5 heures à 11 heures le matin, un premier jet au crayon de papier, puis la version définitive à l'encre. Après un déjeuner rapide, il file à la bibliothèque de la Société industrielle d'Amiens, où il épluche la presse scientifique et rédige des fiches qui lui servent de documentation pour ses romans. Il puise également beaucoup d'idées de personnages ou d'inventions dans ses conversations avec les industriels qui fréquentent cet endroit. Par ailleurs, chaque année, il consacre environ deux mois à la navigation et passe un mois à Paris, où il retrouve Hetzel et le monde du théâtre. 
Jules Verne a-t-il connu rapidement la fortune avec ses romans?
J.-P. D. Si l'on regarde ses relevés de ventes chez Hetzel, on s'aperçoit qu'il vendait entre 30 et 40 000 exemplaires de chaque volume dans les cinq premières années. A sa mort, en 1905, ses plus célèbres romans avaient atteint les 100 000 exemplaires. Jules Verne ne percevait pas pour autant des droits d'auteur colossaux. Pour Cinq semaines en ballon, il ne touche que 500 francs de l'époque (environ 1 500 euros) à la signature. Par la suite, il aura 8% sur le prix de vente pour l'édition courante; pour les magnifiques éditions illustrées qui ont pourtant propagé le mythe Verne, il ne perçoit pas un centime sur les 20 000 premiers exemplaires (et très peu au-delà)! Hetzel prétend que l'impression des gravures et des riches couvertures cartonnées ne permet pas de dégager de marges suffisantes. Après les premières années, son revenu mensuel se montait à environ 4 000 euros d'aujourd'hui. Mais, pour cela, il doit livrer trois épais romans par an et écrire des manuels de géographie. Et s'il quitte Paris pour Amiens, c'est parce que la vie y est moins chère. Etrangement, ce sont les adaptations au théâtre qui vont apporter la fortune à Verne: Le tour du monde en 80 jourset Michel Strogoff sont d'immenses succès internationaux, qui relancent la vente des romans. Grâce aux contacts que Hetzel avait noués en exil, Verne est traduit très tôt à l'étranger. A la fin de sa vie, l'auteur de Robur le Conquérant est une star: lors de son dernier voyage autour de la Méditerranée, le bey de Tunis met son train privé à sa disposition, le pape le reçoit à Rome et un feu d'artifice est tiré en son honneur à Venise. 
A propos, le mythe voudrait que l'auteur des «Voyages extraordinaires» n'ait jamais quitté Paris et Amiens...
J.-P. D.
 Encore une idée reçue! A une époque où il n'était pas toujours simple de voyager, très jeune il visite la Scandinavie et l'Ecosse; en 1867, il s'embarque pour New York sur le Great Eastern, le plus grand paquebot du XIXe siècle. Là-bas, il ira visiter les chutes du Niagara. De ce périple, il tirera la matière d'Une ville flottante. Verne est un amoureux de la mer, il possédera de magnifiques voiliers, en particulier le Saint-Michel III, un ancien yacht à vapeur de 31 mètres nécessitant un équipage de huit hommes. Il y aménage une bibliothèque, y écrit parfois un chapitre de roman dans son «cabinet flottant». Chaque année, il vogue plusieurs mois en Méditerranée, au large de l'Irlande et du Danemark. Seule la vieillesse l'éloignera de la mer, sa grande inspiratrice. 
Comment caractériser l'écriture de Jules Verne?
J.-P. D. «Je n'ai qu'une ambition en littérature, c'est d'être un styliste», écrivait-il à Hetzel. Son style fluide, classique, a l'art de vous plonger dans un sentiment de quiétude après une dizaine de pages. L'exposition dure en général très longtemps, parfois jusqu'à la moitié du roman. Il alterne descriptions, intrigue et dialogues vifs, nourris des ficelles du vaudeville. A sa manière, il dépasse la vision romantique du monde: chez lui, la nature n'est plus le cadre majestueux du roman, mais un acteur à part entière. Tempêtes, éruptions, orages sont comme des personnages. Bien sûr, parfois, certaines descriptions ou listes d'animaux sont un peu longues, mais on ne s'ennuie jamais. Jules Verne a même envisagé un temps de se présenter à l'Académie française, sur la suggestion de son ami Dumas fils. Mais il ne fera jamais acte de candidature officielle. 
On l'ignore souvent, mais certains romans signés Jules Verne ont en réalité été écrits ou coécrits par son fils...
J.-P. D.
 L'ironie veut que Jules Verne, dont les livres ont enchanté des générations d'enfants, ait eu les plus grandes difficultés à élever son fils. Michel était un garçon instable, qui a d'abord été confié à un institut spécialisé près de Tours, puis, alors qu'il avait une quinzaine d'années, envoyé par voie de justice, à la demande de son père, sur un bateau pour faire le tour du monde. Hetzel a raconté comment le romancier s'effondrait en pleurs dans son bureau à l'évocation des frasques de ce fils unique. Avec le temps, Michel devient chroniqueur scientifique au Figaro et commence à écrire quelques nouvelles comme L'agence Thompson and Co, que son père corrigera et qui sera publiée sous le nom de Jules Verne. A la mort du romancier, Michel Verne et le fils Hetzel décident d'éditer les manuscrits encore inédits. Certains sont publiés tels quels (Le beau Danube jaune, En Magellanie...), mais d'autres, comme L'étonnante aventure de la mission Barsac, sont largement retouchés par Michel, comme on a pu l'établir ces dernières années en étudiant les manuscrits. 
A la fin de sa vie, Jules Verne s'investit dans la vie politique locale d'Amiens...
J.-P. D.
 Il a toujours eu des amis de tous bords. Républicains, évidemment, avec Hetzel et Jean Macé. Mais aussi monarchistes: au Tréport, son bateau est voisin de celui de la famille d'Orléans. En 1888, il est élu conseiller municipal d'Amiens sur une liste républicaine. Il va surtout s'investir dans les domaines de la culture et de l'urbanisme. Il bataille ferme pour que la modernisation du tramway ne s'accompagne pas de fils électriques au-dessus des trottoirs, inaugure un magnifique cirque octogonal à deux pas de chez lui et défend âprement les subventions du théâtre. Son seul grand roman politique, En Magellanie, date de ces années-là: on y découvre le personnage d'un anarchiste, Kaw-Djer, qui préside aux destinées d'une colonie de neuf cents personnes sur une île, au large de la Terre de Feu, dans la grande tradition du roman utopique. Ce sera la dernière grande figure des «Voyages extraordinaires». A la fin de sa vie, Verne est affaibli par les séquelles d'une blessure mystérieuse: un soir, devant chez lui, à Amiens, Gaston, l'un de ses neveux, lui tire deux balles de revolver. On ne saura jamais pourquoi et la famille a tout fait pour étouffer l'épisode. Il est à l'hôpital, lorsqu'il apprend la mort de Hetzel. Il ne se pardonnera pas de n'avoir pu assister aux obsèques. 
Quelle postérité artistique a-t-il laissée?
J.-P. D. Il faut savoir que Jules Verne n'a jamais écrit spécifiquement pour les enfants. Ses romans étaient d'ailleurs publiés en feuilleton dans des organes sérieux comme Le Journal des débats. Il écrit sur son temps. On le présente parfois comme le père de la science-fiction, mais il situe l'action de quasiment tous ses romans dans la seconde partie du XIXe siècle et souvent même dans l'année de leur rédaction, et non dans un futur indéterminé. Cela n'empêche pas nombre d'écrivains d'anticipation, comme Ray Bradbury ou Isaac Asimov, de se réclamer de lui. Mais son influence va bien au-delà du genre: Raymond Roussel (qui lui rend visite à Amiens), Julien Gracq, Apollinaire, Georges Perec, Michel Butor, Roland Barthes ont dit ou écrit leur admiration. Au cinéma, Walt Disney (qui a failli se ruiner pour produire Vingt mille lieues sous les mers avec James Mason et Kirk Douglas), Steven Spielberg ou James Cameron n'ont jamais caché leur fascination pour Verne. Il est peut-être l'écrivain qui a le plus influencé l'imaginaire du XXe siècle. 
Jules Verne. Un humain planétaire
Jean-Paul Dekiss
L'état des connaissances et de l'imaginaire au XIXe siècle: à la lumière de documents, pour une part inédits, Jean-Pierre Dekiss reconstitue le terreau où a germé et levé l'?uvre de cet Homère des temps modernes.
 


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